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2020-05-20 01:22:03 +02:00
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:tags: halloween, sorcière, hautfort, chat, dragon
:category: Fiction
:author: kujiu
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La sorcière de Hautfort
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:alt: Une sorcière est adossée à des citrouilles.
:title: Image par Katerina Limpitsouni
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Préface
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Ce texte aurait dû sortir plus tôt, pour le 31 octobre 2016. Cependant, le
déménagement a eu raison de mon temps disponible. Le déballage des cartons
s'est enfin achevé, même si tout n'est pas encore rangé à sa place définitive.
Voici donc ma contribution pour un Halloween futur, je vous laisse le soin de la
ressortir en 2017.
La sorcière de Hautfort
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Aénor Castagnier grelottait dans sa cellule. Elle y avait été enfermée quelques
heures plus tôt. Le garde lui avait confisqué son chapeau et son balai. Le roi
aurait décidé de supprimer les sorcières, et ce le pire jour de l'année. Le vent
et le froid rentraient par tous les interstices et par la fenêtre en ce 31
octobre. Aénor réfléchissait calmement sur la couchette de paille, les mains
et les chevilles entravées de lourds fers reliés par des chaînes. Elle
souhaitait échapper à la question tant que possible, à cette torture
ridicule et cruelle imposée par les pires bourreau de toute l'Histoire. Elle
était une sorcière et le revendiquait ainsi, avec ou sans torture. Le palais du
Seigneur Mondragor recelait, selon la rumeur, de technologies de questionnement
avancées. Des cris de douleur parvenaient parfois jusqu'à la Grand Place de
Hautfort pour rappeler aux citoyens qui régnait sur cette ville. Montdragor
n'hésitait jamais à employer une violence spectaculaire et cruelle envers
tout opposant ou criminel. Il était à la fois la justice et le bourreau à lui
seul.
La journée avait pourtant bien commencé pour Aénor. Elle avait quitté la
chaumière tôt le matin, vêtue de sa robe et de sa cape noires, de son chapeau
pointu noir, de ses longues chaussures cornues noires et de son balai. Elle
était appréciée des habitants et descendait de la colline pour leur rendre
visite régulièrement. Elle venait d'achever sa formation, à 25 ans à peine. Elle
avait scrupuleusement rempli son sorcellinariat auprès de la vieille Margareth.
La vieille sorcière avait enfin pu prendre sa retraite bien méritée.
Ce matin du 31 octobre, Aénor devait commencer par rendre visite
à la mère Mortelune. Elle avait aidé à l'accouchement la veille, et elle
s'occupait personnellement des soins du nourrisson. Elle avait concocté
ses meilleures potions pour renforcer le métabolisme et prévenir des maladies
de l'hiver. Ce n'était pas la meilleure période pour les nouveaux nés, et elle
le savait très bien. La fête des morts rapproche le monde présent de
l'au-delà. Il était donc essentiel qu'Aénor purifie la petite Jutta pour éviter
toute jalousie ou toute vengeance mal placée d'un esprit quelconque. Elle aida
également là mère au nettoyage de la demeure, à l'habillage du bébé et à la
lessive. Elle en profita pour rajouter quelques sceaux de protection aux lieux
stratégiques de la maison. Une sorcière devait savoir se rendre utile, être à
l'écoute des gens et imposer sa solution. La mystification et l'ésotérisme
étaient réellement nécessaires pour rendre toute sorcière indispensable.
Aénor avait ensuite rendu visite à Frémont Gardevent, le vieux fermier. Frémont
vivait isolé du monde, au milieu de vastes champs. Il cultivait principalement
l'orge et le blé. Du moins, il le faisait avant. Ses rhumatismes, son dos
et ses divers maux avaient eu raison de sa motivation. Frémont avait toujours eu
peur des voleurs. Aénor connaissait l'emplacement de chaque piège à loup, de
chaque trou dans le chemin. Elle appelait Frémont de loin, afin d'éviter qu'il
ne sorte avec son arbalète en prononçant des mots qui lui vaudraient au moins
six mois d'enfermement. Comme tous les jours, elle sortit ses plantes et ses
décoctions. Elle prépara un cataplasme avec les plantes de la forêt, bien chaud.
Elle l'appliqua sur le bas du dos du vieux Frémont.
« — Votre truc me fait toujours un bien incroyable ! dit-il.
— C'est ça les bons secrets des sorcières, rappela Aénor.
— Il faudra vous méfier, mettez votre chapeau au placard quelques temps.
— Sortir sans mon chapeau ? Il en est hors de question ! Vous ne me
reconnaîtriez pas !
— Allons donc, mais vous savez bien pour notre Grande Majesté Absolue Johan le
rabougri ?
— Savoir quoi ? Comment voulez-vous que je devine si vous ne me dites rien ?
— Eh beh, le roi, s'il a son nez crochu, c'est pas l'coup du sort ! C'est une
sorcière qui l'aurait maudit.
— Arrêtez avec vos idioties, ce type de malédiction n'existe donc pas ! Et puis
laissez moi masser ce dos, je dois ramollir vos muscles encore. Il faudrait
que vous vous calmiez un peu aussi sur l'exercice, ça ne vous réussi pas. Et
en plus vous avez encore forci.
— Encore des reproches ! Bon en tout cas, le rabougri, il aurait dit que puisque
c'est une sorcière qui a transformé son nez, il allait le faire payer. Il veut
mettre toutes les sorcières à prix. Et alors, qui c'est qui me soignera mon
dos hein ?
— Ça n'augure rien de bon tout ça, en plus en plein jour d'Halloween. »
Aénor ne récupéra pas de nourriture en sortant de chez Frémont. Il avait
certainement peur d'être complice de la sorcière s'il tentait de l'aider.
Recourir à la magie était toujours très compliqué. Les gens sont rapidement
impressionnés, mais en réalité, les effets secondaires sur le corps sont
abominables. Il n'y a pas de réduction de l'espérance de vie comme certains
l'imaginent, plutôt une augmentation. Mais les douleurs le font largement
regretter. Cependant, Aénor avait faim. Elle fit une pause sur le trajet menant
vers le château et la ville fortifiée de Hautfort. Elle s'assit sur une bûche
et prononça quelques paroles absconses. Un tourbillon d'ombres se forma devant
elle. Il se transforma en un miroir qui reflétait le rayonnage de la
pâtisserie. Aénor parcourra tous les gâteaux du regard et choisit celui à
l'orange. Elle vérifia que la pâtissière avait le dos tourné et passa son bras
au travers du tourbillon pour attraper le gâteau. Elle déposa les piécettes
correspondant au prix affiché à l'emplacement désormais vide.
Aénor reprit sa route après avoir mangé. Elle arriva aux fortifications au bout
d'une heure et se dirigea au bureau de poste. Elle avait envoyé un colis
quelques semaines auparavant, mais il n'était toujours pas arrivé. Elle l'avait
suivi avec sa boule de cristal. Non seulement, elle n'obtenait toujours pas de
remboursement pour les précieuses pièces qu'elle avait envoyé, mais en plus, le
roi Johan ne reçut pas les cotisations fiscales. Cette histoire de malédiction
intriguait fortement Aénor. Elle se demanda s'il ne s'agissait pas d'un
prétexte. Qui plus est, elle n'était pas la seule sorcière dont les cotisations
furent perdues, ou du moins détournées. La boule de cristal ne se trompait
jamais, et elle avait bien vu que le colis n'était pas passé aux bons endroits.
Et qu'il était désormais dans un autre coffre fort. La postière avait même
réclamé un dédommagement pour les « frais de gestion » engendrées par la
surcharge de travail. Quatorze douzains et demi !
Aénor continua sa traversée de la ville par le quartier militaire. Elle devait
retrouver une veuve. Un garde l'interpella et lui passa rapidement les fers.
Elle ne fut guère surprise par cette attitude. Elle fut conduite directement
au cachot, elle préféra se laisser faire. Elle passa l'après-midi à réfléchir
à la situation. S'échapper n'était pas la solution optimale : cela n'arrangerait
pas la mauvaise humeur du roi.
Un garde vint en début de soirée pour amener Aénor en salle de questionnement.
Elle le suivit le long du couloir, jusqu'à l'escalier descendant dans les
niveaux inférieurs. Elle rentra dans une grande salle vide hormis une chaise
en son milieu. Des gardes étaient disposés à chacun des huit piliers. Le
questionneur avança vers la prisonnière pour l'accueillir en toute violence.
Son ombre grossissait, et des yeux y apparurent, des yeux maléfiques. Une bouche
lumineuse et terrifiante semblait ricaner dans un rictus diabolique.
Aénor dirigeait son regard dans le vide, et balbutiait des mots inaudibles.
Une légère fumée colorée s'échappait de ses fers. Le métal se mit à chauffer
légèrement, il se morcelait et vola en éclats. Le questionneur recula
brutalement pour éviter un débris. Aénor profita de la situation pour fuir.
Élianara, la grande Élianara, était de retour, telle était la conclusion d'Aénor.
Cette dragonne maléfique prenait possession des humains pour mieux semer la
panique et trouver son déjeuner le plus savoureux. Aénor devait agir, et vite.
Elle courait à travers la ville. Elle réfléchissait en même temps sur la
situation actuelle. Le roi était donc innocent dans cette affaire. Élianara
se nourrissait des pouvoirs magiques des humains, elle les dépossédait de leurs
âmes avant d'en extraire toute force vitale. Son plan était diabolique : elle
avait détourné toutes les cotisations fiscales pour rétablir le trésor qui lui
avait été repris au siècle dernier. Un dragon ne sait exister qu'au-dessus d'un
trésor. Élianara avait créé à la fois un prétexte et une source d'enrichissement.
La chasse aux sorcières pouvait dès lors débuter à la bonne date. Élianara
pouvait aspirer les âmes au cimetière uniquement un soir d'Halloween. Elle avait
déjà tenté de conquérir le monde dans le passé. Elle avait grossi, tant et si
bien qu'elle était aussi large qu'un conté. Elle fut arrêtée par la maîtresse
de Margareth après la destruction de nombreuses villes. Cependant, le sacrifice
ultime n'avait pas suffit. Une seule vie n'avait permit que d'endormir la
dragonne durant cent cinquante ans.
Aénor dépassa les portes de la ville et vit le cimetière au loin. De longs corps
filiformes blanchâtres et translucides s'élevaient dans les nuages. Ces derniers
commençaient à former un tourbillon lent et sombre dans le ciel. Le temps était
compté. Elle rejoignit sa chaumière, haletant durant tout le trajet. Elle
récupéra au plus vite ses élixirs, des herbes, et alluma le feu sous le chaudron.
Elle prit son grimoire le plus précieux et chercha la recette de la potion
d'Ab Khaharam. Elle en gardait toujours tous les ingrédients en cas d'urgence.
Elle était la seule héritière d'un tel savoir. Le chaudron illuminait la pièce
à chaque fois qu'Aénor prononçait une incantation. Elle mit plus de deux heures
pour préparer la potion, et elle remplit ainsi une vingtaine de fioles qu'elle
boucha immédiatement.
Aénor repartit dès que possible, emmenant ainsi sa chatte Nao, noire et parsemée de beige.
Elle enjamba son balai, mit Nao à l'arrière sur la brosse, et décolla. Les
migraines magiques apparurent immédiatement. Elle partit en direction du
cimetière. Nao ressentait le poids des âmes et s'impatientait. Elle regardait
attentivement le tourbillon de fantômes dans les airs puis baissa les yeux vers
les tombes. Aénor accéléra pour se rendre au cimetière le plus rapidement
possible en poussant un cri de douleur. Elle aperçut alors une griffe sortir
du tourbillon nuageux. Élianara arrivait. Aénor décida de rejoindre le sol et
lâcha Nao. Le félin chassait les âmes, jouait avec et commença à les enterrer.
Élianara descendit du ciel, telle une calamité divine. Elle se posa en face
d'Aénor, sa seule et unique menace. Elle sentait le pouvoir purificateur caché
dans la veste de la sorcière. Les deux êtres s'observèrent un instant de leurs
regards les plus perçants et les plus mauvais. La dragonne recula sa tête,
inspira profondément puis cracha d'immenses flammes. Aénor réussit à éviter
la sentence létale et se mit à courir le plus vite possible. Elle prit une des
fioles de potion d'Ab Khaharam et la lança sur Élianara. La fiole s'éclaira
à mi-chemin puis se brisa. Le liquide resta figé dans les airs et brillait de
plus en plus avant de se libérer par une explosion. Élianara hurla lorsque des
gouttes lui glacèrent la peau. Des cristaux minéraux restèrent ancrées sur le corps
de la dragonne.
Aénor continuait sa course et avait de l'avance par rapport à Élianara. La
poursuite continuait sur les chemins de terre escarpés. Aénor tourna dans un
champ mal entretenu. Les épis de blé ne suffisaient pas à couvrir sa tête,
Élianara suivit alors le chapeau pointu de la sorcière. Elle se rapprochait
de plus en plus de sa cible. Le chapeau continuait à tracer des
sillons dans le champ. Élianara se prépara puis cracha sa flamme. Elle incendia
le blé tout autour de la cible, laissant alors une terre brûlée à nu.
Aénor connaissait le terrain du vieux Frémont. Elle avait lancé un sortilège
de lévitation sur un caillou coiffé de son chapeau. Puis, elle s'était éloignée de
la dragonne pour rejoindre un autre chemin de terre. Élianara se posa en face
du corps supposé de la sorcière et fulmina en voyant la supercherie. Elle
s'élança et courra en direction d'Aénor. La sorcière se retourna avec un sourire
narquois et observa la dragonne. Élianara ne comprit pas, jusqu'au moment où
son pied fut bloqué par un piège à loup. La paranoïa de Frémont avait sauvé
Aénor. Le sol craquela autour de la dragonne maléfique puis s'effondra. Élianara
était coincé dans le trou. Aénor lança alors ses potions sur la créature
diabolique. Élianara rugissait de douleur tandis que son corps se cristallisait en un
minéral bleuâtre translucide. Elle était vaincue, par une sorcière de Hautfort,
encore une fois. Elle rumina et se promit une vengeance absolue lorsqu'elle
serait libérée de l'emprise minérale.
Aénor, exténuée, griffée, brûlée, retourna au cimetière et rejoignit Nao. Elle
commença des incantations de paix et de tranquillité. Elle rappelait les âmes
vers le cimetière et assurait leur repos pour l'année à venir. Elle continua
ainsi durant toute la nuit. Nao l'aidait, courrait vers les fantômes et les
ramenait à leurs tombes. Cependant, de nombreuses âmes manquaient à l'appel,
détruites par l'immonde dragonne. Aénor prévoyait une semaine de deuil, pour
les pleurer et les consoler. Un mausolée devait être créé pour enfermer la
menace, et surtout protéger les générations futures par une formation suffisante.
Ainsi s'achève le premier conte de la sorcière de Hautfort.