diff --git a/source/2021/04/30_lecture_elitiste.rst b/source/2021/04/30_lecture_elitiste.rst new file mode 100644 index 0000000..c6ef503 --- /dev/null +++ b/source/2021/04/30_lecture_elitiste.rst @@ -0,0 +1,222 @@ +.. post:: 2021-04-30 20:00 + :tags: lecture, inclusion, adaptation + :category: Accessibilité + :author: kujiu + :location: BLA + :excerpt: 1 + +La lecture, un acte élitiste ? +============================== + +.. image:: assets/30_lecture_elitiste.svg + :width: 70% + :align: center + :alt: Une femme lit un livre géant + :title: Image par Katerina Limpitsouni + +La lecture est complexe, très complexe. Elle met +en jeu nombre de nos capacités. Mais que se +passe-t-il si seulement une seule d'entre elles +venait à manquer ? La lecture se réserve à une +partie de la population et exclut les autres. Les +moyens d'accéder à un ouvrage convenant à chacun +restent bien trop faibles. + +Tout commence par le caractère, une lettre, un +idéogramme, ou que sais-je en fonction de la langue +parlée. Nous assemblons les caractères pour former +des syllabes - enfin lorsque nous utilisons un +alphabet - puis des mots. L'image du texte se forme +dans les rétines, en passant par le cristallin, +notre lentille à auto-focus. Le signal passe par +les nerfs optiques, se croise dans le sinus au +niveau du chiasma optique, et arrive au cortex +visuel à l'arrière de la tête. + +Après cela, le cerveau analyse l'image, reconnaît +les mots ou les caractères pour les mots inconnus +et transforme cela en son et en interprétation. +Notre imagination entre en jeu, nous fait ressentir +des sensations et des sentiments, nous donne même +l'impression d'agir. Et nous réagissons puisque les +zones du cerveau contrôlant les muscles de l'action +s'activent. Mais un mécanisme interrompt le signal +avant d'accéder au muscle. Le cerveau est une +merveilleuse mécanique. + +La lecture, ce n'est pas si simple. Et chacun de +ces rouages, aussi infime soit-il, peut bloquer +ce processus. Bien sûr, quand on parle +d'accessibilité de la lecture, on pense aux +problèmes oculaires, ou du moins des nerfs optiques. +Mais ce n'est pas tout, le cerveau n'arrive pas +toujours à décoder l'image reçue. La dyslexie +guette, et cela reste un fait connu. Mais savez-vous +combien de personnes sont dyslexiques ? J'ai +trouvé tant de différences entre les études. +Peut-être dix pour cent. Peut être trente-cinq +pour cent. Ou du moins, entre les deux. Oui, cela +représente du monde. + +Et quand nous poursuivons dans le processus de +lecture, nous nous rendons compte qu'il existe bien +d'autres embûches. La combinaison de l'orthographe, +de la phonologie et de la sémantique permet la +compréhension complète du texte. Seulement, comment +peut-on avoir une approche phonologique correcte en +cas de surdité ? La lecture reste possible, en +prenant des chemins de traverse, mais le niveau +de difficulté augmente. Quant à la sémantique, nous +devons avoir un bon dictionnaire en mémoire, et +de bons accès à ce dictionnaire. Ce sujet à lui +seul occupe une grande quantité de spécialistes. + +La mémoire fonctionne par associations. Un mot se +relie à d'autres mots, à des images, à des sons, +à des sentiments aussi. Chaque individu construit +le contenu de sa mémoire en fonction de son vécu, et +la lecture d'une même œuvre ne provoquera pas les +mêmes effets sur chaque personne. Parfois même, la +mémoire manque, et la lecture se dégrade. Et puis, +la mémoire peut exister, mais les mécanismes pour +la solliciter défaillir. Sans compter que nous ne +lisons pas forcément dans une langue que nous +maîtrisons. + +Nous construisons un monde imaginaire en lisant, +vaste et flou, restreint et plus précis. De simples +mots nous font divaguer. Enfin, tant que nous ne +souffrons pas d'aphantasie. Même cette phase peut +échouer. J'aimerais bien voir l'apparition du terme +dysphantasie, chaque personne peut avoir plus ou +moins d'imagination. Ce n'est pas du "tout ou rien". +L'aphantasie, donc, empêche d'imaginer une image, +des sons, des sensations ou en limite la +possibilité. Elle peut aussi être liée à une +prosopagnosie, une incapacité à reconnaitre un +visage humain. + +Nous sentons l'odeur du gazon fraichement coupé, +la brise salée se lever en bord de mer, nous +visualisons une scène complète. Et nous agissons +aussi. Mais nous pouvons nous perdre dans nos +univers. Nos pensées remontent notre vécu, +de vieux souvenirs parfois douloureux, ou cette +foutue tâche inachevée au travail. Nous devons +rester concentrés pour lire et lutter contre les +distractions. Et bien sûr, cela se complique pour +toute personne ayant un trouble de l'attention (ou +la dernière application à la mode sur son GSM). + +Cet article n'a pas vocation à détailler l'ensemble +du fonctionnement de la lecture et des troubles +sensoriels, musculaires, cognitifs, d'apprentissage, +etc. Je veux simplement vous montrer la complexité +de la lecture, et de tous les obstacles sur la +route. Car beaucoup de personnes souhaitent lire +mais ne le peuvent tout simplement pas. Encore une +fois, je ne connais pas la proportion de la +population concernée par au moins une contrainte +à la lecture. Les documents que j'ai lus apportent +des réponses contradictoires avec des estimations +allant du simple au double, jusqu'à plus des deux +tiers. + +Alors, on fait quoi ? +~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~ + +Je veux émerveiller tout le monde avec des +histoires, et pas seulement une pseudo-élite +définie par des capacités. Je ne comprends pas +pourquoi la littérature ne peut pas s'adapter, +pourquoi lire différemment qu'une élite +auto-proclamée ne rentrerait pas dans la définition +de "vraie littérature". Et puis, qu'est-ce que la +"vraie littérature" sinon une volonté de rabaisser +les autres pratiques ? Le comportement élitiste +observable dans le monde de la culture - et +heureusement, tout le monde n'est pas comme ça - +empêche de progresser sur les aspects de +l'accessibilité. Le fonctionnement actuel du +marché incite à se battre pour être lu par un +lectorat existant, mais très largement minoritaire. +Pourquoi ne pas tenter de faire sauter les verrous +et proposer de la lecture à des personnes motivées +mais qui n'ont accès à quasiment rien ? + +La question suivante se pose : comment faire ? Et +comment être accessible au plus grand nombre ? +L'accessibilité totale n'est qu'illusoire, une +chimère, mais aussi un but à atteindre. Nous devons +donc faire le maximum pour tendre vers cette +direction. Aujourd'hui, des entités autorisées à +exercer l'exception au droit d'auteur pour handicap +et pour personnes empêchées de lire œuvrent dans ce +but. Une entité autorisée se déclare dans une +bibliothèque nationale, et elle a le droit d'adapter +une œuvre sans demander la permission à la maison +d'édition. Elle peut redistribuer les adaptations +aux personnes concernées ou aux bibliothèques qui +s'en occuperont. Dans cette opération, la maison +d'édition ne reçoit aucune compensation, ni même +l'auteur ou l'autrice. Cependant, l'entité autorisée +ne peut pas adapter une œuvre déjà accessible. Ne +serait-il donc pas temps de prendre en compte cet +aspect directement dans les chartes éditoriales ? + +Les adaptations les plus courantes concernent +uniquement les problèmes visuels et la dyslexie. +Une imprimante braille embosse le texte, ou une +personne lit l'histoire et l'enregistre dans un +format DAISY ou ePub. J'ai donc accès, en tant +que déficient visuel, à des livres audio ou à des +livres en braille ou numérique. Malheureusement, +cette approche ne couvre qu'une partie du problème. + +La diversité des interactions réduit largement les +troubles de l'attention. Un livre en audio et écrit +sera plus efficace que l'écrit seul ou l'audio seul. +Bien sûr, la mise en surbrillance ou un affichage +très privilégié de la phrase en cours de lecture +attirera fortement. Une personne aveugle et ayant +un trouble de l'attention a besoin du braille. + +Les personnes ayant des difficultés de compréhension +(que ce soit une atteinte cognitive, un trouble du +langage ou juste une langue étrangère) apprécieront +fortement un texte en FALC. Ou si vous préférez, en +Facile À Lire et Comprendre. Une telle forme doit +être disponible en texte et en audio. Mieux encore, +agrémenter le texte de petites images et de sons +particuliers augmentent à la fois l'immersion et la +compréhension. Je ne dis pas qu'il faut tous se +mettre à écrire en FALC et proposer cette version +uniquement, cela ne convient pas à tous les +lecteurs. Il est important de faire coexister les +deux versions. Dans le même ordre d'idée, une +lecture en langue des signes ou en langue parlée +complétée amènera plus facilement un public sourd. + +La mise en place de fiches personnages et de résumés +des chapitres précédents aideront ceux et celles qui +mémorisent mal. Et pourquoi ne pas rajouter une +carte de la scène, avec la liste des personnages +présents ? Un tel copion facilitera la vie des +personnes aphantasiques, tout comme une couleur +différente ou un avatar pour chaque ligne de +dialogue. Combien de lecteurs et de lectrices ne +savent pas distinguer qui parle ? + +Le numérique apporte beaucoup, et nous pouvons faire +tomber beaucoup de frontières entre livre, visual +novel, vidéo et audio. Nous avons l'équipement +nécessaire pour proposer une expérience +personnalisée en fonction du profil du lectorat. +Un même livre peut avoir plusieurs formats +différents, visibles tous en même temps ou juste un +seul. Chaque personne doit pouvoir accéder à ce qui +lui convient : texte, vidéo, visuel, FALC ou pas, +audio. Les problèmes d'accessibilité existent et +des solutions aussi. À nous d'insuffler la volonté +à tous les acteurs du livre, et d'unir nos forces +pour proposer le meilleur. diff --git a/source/2021/04/assets/30_lecture_elitiste.svg b/source/2021/04/assets/30_lecture_elitiste.svg new file mode 100644 index 0000000..3eb7f4a --- /dev/null +++ b/source/2021/04/assets/30_lecture_elitiste.svg @@ -0,0 +1 @@ +Bibliophile \ No newline at end of file